lundi 31 octobre 2011

7. La Toussaint...Deuil et espérance...

Victor HUGO (1802-1885)
(Recueil : Les contemplations)

A Villequier

Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,
Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ;
Maintenant que je suis sous les branches des arbres,
Et que je puis songer à la beauté des cieux ;

Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure
Je sors, pâle et vainqueur,
Et que je sens la paix de la grande nature
Qui m'entre dans le cœur ;

Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Emu par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ;

Maintenant, ô mon Dieu ! que j'ai ce calme sombre
De pouvoir désormais
Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre
Elle dort pour jamais ;

Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles,
Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l'immensité ;

Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ;
Je vous porte, apaisé,
Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé ;

Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes
Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !
Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent ;

Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament ;
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement ;

Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,
Possédez l'infini, le réel, l'absolu ;
Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste
Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu !

Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive
Par votre volonté.
L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,
Roule à l'éternité.

Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ;
L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant.
L'homme subit le joug sans connaître les causes.
Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.

Vous faites revenir toujours la solitude
Autour de tous ses pas.
Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude
Ni la joie ici-bas !

Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire :
C'est ici ma maison, mon champ et mes amours !

Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ;
Il vieillit sans soutiens.
Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient ;
J'en conviens, j'en conviens !

Le monde est sombre, ô Dieu ! l'immuable harmonie
Se compose des pleurs aussi bien que des chants ;
L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie,
Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.


SUITE DU POEME : http://www.victor-hugo.info/poemes/162.html



C'est un va et vient incessant entre l'acceptation et la révolte, entre l'humain que nous sommes et la part de divin qu'il y à en nous...
Victor Hugo à une telle sensibilité et mystique intèrieure que ce poème me fait sangloter éperdument, moi qui n'ai jamais eu d'enfant et n'en ai pas perdu!
Il met mon émotivité à rude épreuve.
Il en va ainsi pour ceux qui ressentent l'au-delà et que les épreuves affligent...
Je ne crois pas à ceux qui claironnent être au-dessus de ces fluctuations !
Revenons cette strophe qui exprime la certitude en l'après-vie :

"Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament ;
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement ;"


Mais il faut peut-être un peu plus de lumière. Car les moments d'acceptation de Victor Hugo, dans ce poème sur le deuil de sa fille, s'adressent à un Dieu bien sombre tout de même et on le comprend..
Un poète corse d'Ajaccio, Jean-Paul Sermonte (en lien dans la marge à droite) à écrit ces modestes vers :


LA LUMIERE

A Anne-Marie et isabelle Lionnet

Et la voix lui dit : « tu toucheras
Du doigt le cœur du désespoir
Quand tu n’auras plus de cris plus de larmes
Plus de colère, quand ton âme rebelle
Aura déposé les armes
Sur l’autel de l’intemporel
Alors la lumière entrera en toi
Elle entrera comme une mariée dans une maison neuve
Cette lumière belle à te faire mal, belle
Et douloureuse comme aux yeux de l’aveugle
Qui voit pour la première fois
Et qui demande « où est-Il pour que je le remercie ?
Je ne sais rien de Lui mais je sais qu’Il m’a guéri »
Alors tu comprendras
Tu deviendras lumière toi aussi
A ton tour tu diras au passant qui pleure :
« Va et touche du doigt le cœur du désespoir
L’azur s’est vêtu des cendres noires
De la nuit, pour te paraître à l’aurore
Plus lumineux encore »

Jean-paul Sermonte
(Passerelle d’Emaux)


Donc "rien n'est jamais acquit à l'homme " Aragon l'avait très bien comprit..Qu'il n'y à pas d'amour heureux (quel qu'il soit) :



Bon, mais la Toussaint, c'est la communion des Saint, donc la communion avec Dieu... Bonne Toussaint à tous!
Précédents liens (mais voir les mois de novembre et octobre à partir de 2009):
http://fleurdecorailpassiongitane.blogspot.com/2009/11/1-toussaint-quelques-poemes-et-messages.html

et http://fleurdecorailpassiongitane.blogspot.com/2010/11/1-morts-cette-vie-vivants-dans-lau-dela.html


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce poème de Victor Hugo est un sacré parcours intérieur. Quel prix à payer pour atteindre cette lumière (le deuxième poème est beau) qui est notre part d’éternité?
La clarté d’expression poétique de Victor Hugo est superbe. Je n’avais jamais lu le poème en entier et même s'il est long, merci de l’avoir posé.
Le regard de Victor Hugo sur Dieu est personnel à Hugo, mais pour lui donne un sens à sa souffrance
Tout peut-être reprit sauf "l'intemporel", ce qui appartient à l'âme donc à Dieu par déduction. Très beau...
Brocéliande

Fleur de corail Jeannine Toiron-Vaquié a dit…

Oui, l'âme et Victor Hugo l'exprime bien :
" Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive
Par votre volonté.
L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,
Roule à l'éternité ".
Il est tard, je viens de rentrer, je vais revenir je pense..

Merci de ton com..